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Le mois des morts : en chœur célébrons les

par Nasra Sabrina Ibrahim

C’est enfin novembre, mois des morts. Depuis le début du mois d’octobre, j’en frissonne. On pourrait croire que c’est l’hiver qui s’en vient, ou l’ambiance propre à la période d’Halloween qui me fait me sentir ainsi. Mais non au contraire. C’est un frisson de nostalgie qui me traverse le corps. Une nostalgie pour une tradition propre à mon enfance dans ma grande île natale de Madagascar : le famadihana.  Ce mot vous est certainement inconnu et les rituels qui y sont liés vont sans aucun doute vous paraître tout aussi surprenants. En fait, il s’agit avant tout d’honorer les défunts. En plus d’en apprendre davantage sur cette tradition si spéciale de ma jeunesse, cet article servira aussi à explorer les différentes possibilités que le monde nous offre pour honorer ceux qui nous ont quittés.

Les morts-vivants de Madagascar

Avec ses plus de 18 ethnies, ses origines africaines et asiatiques, Madagascar, ancienne colonie française, est un de ses beaux « melting pots » de cultures qui comptent bien des rites insolites. Vouloir connaître et visiter cette île c’est tout d’abord accepter une chose comme évidente : les limites entre croyances religieuses et croyances spirituelles sont quasiment floues. En effet, peu importe que l’on soit croyant d’une religion monothéiste (chrétien, musulman ou juif) ou polythéiste (hindou par exemple), tout Malgache (personne venant de Madagascar) a tendance à accorder une très grande importance au monde des esprits. De fait, les Malgaches considèrent que la frontière entre le monde des vivants et ceux des morts est tellement mince qu’ils sont encore parmi nous et peuvent même se balader librement. Ils ne font pas spécialement de distinctions entre les deux mondes ou du moins, la frontière est si mince que certains esprits peuvent la traverser.

Le famadihana

Ainsi, le famadihana fait partie de ces traditions ancestrales qui sont encore perpétuées aujourd’hui. Cette tradition, qui n’est pas pratiquée par tous les Malgaches, et pas forcément exactement de la même façon par toutes les tribus, conserve toutefois partout le même principe : une fois de temps en temps, aux cinq, sept ou dix ans, les familles déterrent certains de leurs défunts pour, entre autres, changer leur linceul (drap de lin blanc qui recouvre le défunt) avant de les remettre sous terre.

Bien que ma famille ne prenne pas part à cette fête solennelle, il s’agit de souvenirs d’enfance totalement naturels que je continue à chérir. Toutefois, je peux comprendre que cette tradition endémique puisse en choquer plus d’un. Donc, pour vous aider à mieux appréhender et comprendre cette façon de voir la chose, je joins un article qui conte l’expérience d’un étranger qui a eu l’opportunité de vivre un de ces évènements avec une tribu locale.

Et pendant cette cérémonie, les morts dansent en harmonie avec les vivants. Le tout, avec des augures de fête, de la boisson souvent, et de la joie. C’est le plaisir de retrouver ceux qui sont partis et que l’on n’a pas vus depuis longtemps, voire même de leur présenter les descendants. C’est aussi pour le mort, l’occasion de se réchauffer, que ce soit avec l’alcool ou le nouveau linceul dans lequel on l’emballe à nouveau parce que, oui, selon eux, les morts ont froid en début d’hiver. D’ailleurs, aller au mausolée familial, dans cette grande île, est une occasion de faire connaissance avec ceux qui sont partis, de se présenter, de demander leur bénédiction. Verser de l’alcool dans les tombes et y déposer des objets sont aussi des pratiques courantes.

Source : Mada-actus

La Toussaint française et ses chrysanthèmes

Bien que cela puisse surprendre, ce genre de rite me paraissait naturel plus jeune. C’est certainement pour cela qu’en arrivant, encore enfant en France, je m’attendais tout naturellement à retrouver ce côté festif pour célébrer ceux qui nous ont quittés. C’est sans doute aussi une des premières fois où j’ai pris conscience que les cultures se vivaient autrement selon le pays où l’on se trouve.

En France, deux jours sont communément dédiés à la commémoration des défunts : le 1er et le 2 novembre. Bien que ces deux fêtes soient inscrites dans le calendrier, il n’y a qu’une des deux dates qui soit fériée : la Toussaint du 1er novembre. Ainsi, bien qu’il ne s’agisse pas du jour des Morts, qui est le 2 novembre en France, la plupart des gens profitent de ce jour férié pour se rendre au cimetière et honorer leurs proches avec des fleurs, surtout les chrysanthèmes.

Source : Pixabay

La Réunion, un département à part

Toutefois, l’endroit où j’ai vécu avait une façon légèrement différente d’appréhender cette célébration, bien qu’il s’agisse autant d’un département français que Paris ou le reste de la métropole. Cet endroit un peu particulier se nomme l’île de la Réunion. Il s’agit d’un des départements français situés en outremer. Cette île, comme son nom l’indique, est un bouillon de diversité culturelle, un métissage de traditions de tous les premiers habitants qui l’ont fait rendue telle qu’elle est aujourd’hui. Et cette histoire, ce passé, se ressent même dans ces différences avec la France métropolitaine, notamment pour la célébration des êtres décédés ( Plus d’infos à ce sujet dans cet article).

Par contre, malgré ces légères distinctions de pratique, une célébration est toujours bien accueillie par la population pour les enfants : l’Halloween. Cette fête d’origine celtique était organisée en l’honneur du dieu païen Samain (dieu de la mort). Elle nous serait parvenue avec la venue des immigrants irlandais, écossais ou américains. Aujourd’hui, encore, elle continue à faire le bonheur des enfants.

Artiste : Méo 974

Le passé traumatisant des Québecois

Ce bonheur enfantin et ludique, j’ai eu la chance de le connaître en vivant au Québec depuis maintenant huit ans. En effet, dès le début, j’ai été agréablement surprise de voir à quel point les gens s’investissaient dans leurs décorations de maison, leurs déguisements et les sucreries qu’ils distribuaient… Ceux qui s’impliquent le font avec enthousiasme pour l’enfant en eux et ceux autour d’eux. Et bien que cela me remplisse de joie, je ne peux m’empêcher de me poser la question : que fait-on ici pour célébrer ceux qui nous ont quittés ?

En me renseignant un peu, j’ai compris que l’histoire québécoise et les relations entre son peuple et la religion sont des sujets encore sensibles pour beaucoup. Ce passé douloureux est sûrement une des raisons qui expliquent cette distanciation avec les célébrations prévues dans le calendrier. Mais cette rupture religieuse ne signifie pas pour autant qu’ici on ne commémore pas ceux qui ne sont plus. On le fait juste autrement, ou à moindre échelle. Pour preuve, il y a par exemple :

  • Le jour du Souvenir prévu initialement pour ceux qui ont servi le pays durant la Grande Guerre, mais qui sert désormais de rappel pour tous ceux qui ont disparu
  • Le mémorial de Mégantic en l’honneur des 47 victimes de la tragédie ferroviaire d’il y a sept ans, mais aussi en soutien pour tous leurs proches et la ville (Article disponible ici ).
  • La première célébration d’el dia de Muertos en Estrie en 2019 organisée par un collectif de plusieurs commerces qui voulait faire découvrir cette tradition aux habitants et partager leur culture avec eux.
Source : Pixabay

La fête immortelle des Mexicains

El dia de Muertos, pour ceux qui pourrait se poser la question, signifie le jour des Morts en espagnol. Comme son nom l’indique, cette tradition d’origine mexicaine est classée par l’UNESCO dans la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité et sert à honorer les morts et leur retour temporaire sur terre. Néanmoins, au lieu de se recueillir dans la tristesse et le recueillement, la commémoration prend des allures festives et les cimetières se transforment en bal dansant.

Des autels sont dressés pour les défunts avec photos, cierges, encens, fleurs, têtes de mort en sucre, etc. Chacun peut y déposer une offrande en cadeau : leur nourriture préférée, de l’alcool, du tabac, ou des jouets pour les enfants. Sous fond de musique, de nourritures, de costumes et d’alcool, les Mexicains, mais aussi tous ceux qui perpétuent cette tradition de par le monde, accueillent leurs défunts. Leurs âmes sont chéries, choyées, chantées, accompagnées puis raccompagnées lorsque la fête est finie.  Et, parce qu’el dia de Muertos est un véritable festival il se déroule sur trois jours avec des défilés, des spectacles et des animations. Par ailleurs, chacune des journées du 31 octobre au 2 novembre revête une symbolique qui lui est propre :

  • La nuit du 31 octobre au 1er novembre est consacrée aux enfants morts qu’on appelle « los angelitos »
  • Le 1er novembre demeure la fête religieuse de la Toussaint 
  • Le 2 novembre, lui, est consacré aux adultes disparus.

Pour en découvrir plus

Pour vous faire une idée de l’importance de cet évènement annuel, je pourrais vous conseiller de faire comme moi :

  • De regarder le fabuleux film d’animation COCO avec une boite de mouchoir sur le côté pour réaliser que la mort n’est pas la fin, mais le début d’un nouveau voyage…
  • De lire des articles sur le sujet et sur l’impact de cette façon de célébrer en cas de deuil, par exemple (lire un autre article de notre blogue parlant d’un film abordant ce sujet : Apapacho)
  • D’apprécier les photos ou vidéos de ceux qui ont adopté cette tradition partout dans le monde. Pour dire, cette fête est tellement connue de nos jours qu’elle inspire des tendances et des modes.

Mais peut-être aussi, au lieu de faire comme moi, vous pourriez faire autrement : vous offrir l’opportunité de pouvoir vivre une aventure en immersion totale dans ce genre de cérémonie. Tout comme l’auteur de l’article sur Madagascar,  vous pourriez vous rendre compte par vous-même de la beauté de ces traditions.

Source : Disney plus

Autres traditions

Moi-même, en tant que voyageuse en quête d’aventures différentes, j’ai pensé à ce voyage au cœur du Mexique que j’aimerais faire un jour. En y pensant, je me suis aussi dit que ce n’était sans doute pas la seule aventure que je pouvais envisager de vivre en lien avec la fête des Morts. Par curiosité, j’en ai discuté avec des amis de différentes cultures et j’ai fait quelques recherches sur le sujet. C’est ainsi que j’ai découvert plusieurs autres façons d’honorer les défunts dans le monde entier. Parmi ces rituels, il y a :

La fête des Guédés à Haïti

le 1er et le 2 novembre, les habitants de Port-au-Prince célèbrent la fête des esprits de leurs morts et leurs barons (le Baron samedi par exemple). Entre traditions vaudou et carnavalesques, les Haïtiens se poudrent le visage et s’habillent de violet, de blanc et de noir, couleurs de Guédé Nibo, esprit protecteur des vivants. Tout en fumant, buvant et en dansant, ils se dirigent vers le cimetière de la ville. Sur place, ils déposent des offrandes de toutes sortes et certains professent des obscénités en mimant des actes fornicatoires.

Source : AP Photo/Dieu Nalio Chery

La Fête de Qingming enChine

Contrairement au reste du monde, cette fête chinoise de « pureté et lumière », aussi appelée fête des fantômes, se déroule début avril (entre le 4 et le 6 généralement). Il est d’usage durant cette période de balayer les tombes avec des branches de saules pour chasser les mauvais esprits, mais aussi d’y laisser quelques offrandes et d’y bruler de faux billets pour les ancêtres.

Source : Flickr

La Gai Jatra au Népal

Cette fête hindoue est également connue sous le nom de « festival des vaches », car ce sont bien les vaches qui y guident les défunts. En effet, selon la légende, pour traverser la rivière Baitarni et atteindre le ciel, les hommes s’aidaient en tenant la queue d’une vache. C’est aussi une tradition qui est née de la volonté du roi Pratap Malla afin de rendre le sourire à sa femme, après la mort de leur jeune fils. C’est pour cela que, chaque année, en août ou septembre, selon la date fixée en fonction du calendrier lunaire, les familles endeuillées organisent une procession qui parcourt la ville. Elles sont accompagnées d’une vache ou d’une personne déguisée en l’animal pour accompagner ceux qui sont récemment décédés.

Source : Flickr

La commémoration de la Shoah pour les juifs

Ce terme signifie « la catastrophe » en hébreu. Il désigne spécifiquement l’extermination d’environ six millions de Juifs, soit les deux tiers des Juifs d’Europe et environ 40 % des Juifs du monde, pendant la Seconde Guerre mondiale par l’Allemagne nazie. Cette notion a donné naissance au devoir de mémoire qui sert à ne pas oublier les victimes de l’Histoire, mais aussi à éviter qu’une telle tragédie ne survienne à nouveau.

« Hall of Names » du Yad Vashem – Institut international pour la mémoire de la Shoah Source : Flickr

Les occasions de commémoration chez les musulmans

En soi, il n’y a pas réellement de journée particulière pour commémorer un décès. Toutefois certaines occasions s’y prêtent plus. Parmi elles, il y en a qui sont plus courantes : la cérémonie et le repas organisé par la famille en mémoire du défunt quarante jours après son décès, les prières en général et particulièrement celles du vendredi, jour saint et celles des deux grandes fêtes musulmanes (l’Aïd el-Fitr, et l’Aïd al-Adha)

Source : Pixabay

Je pourrais vous donner encore plusieurs exemples de façon de célébrer la mort. Mais le plus important, selon moi, est que cette belle richesse de traditions, de cultes et d’histoires nous confirme une chose. Peu importe nos différences, notre passé et nos croyances parfois très particulières, voire surprenantes pour les autres, nous avons tous le même objectif, soit rendre hommage à nos défunts. Au-delà de ça, il s’agit de célébrer la vie : celle vécue par ceux qui sont partis, mais aussi celle que vivent au quotidien ceux qui sont encore là : Nous. Et vous que célébrez-vous et comment honorez-vous vos proches qui ont trépassé ?

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1 commentaire

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Emanuelle Quirion 03/11/2020 - 17:46

Vraiment beau et particulièrement intéressant d’apprendre sur toutes ces traditions!!!

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