En effet, à cette période critique ou perdre un être cher implique plus de réglementations et de distanciation, ce sont, en grande partie, ces derniers qui servent de soutien aux familles endeuillées. Ces anges-gardiens oubliés les accompagnent, avec encore plus de précautions, dans cette douloureuse étape de vie : le processus de perte d’un proche. Nous nous sommes donc demandé comment ils perçoivent la pandémie et comment ils réussissent à conserver l’équilibre entre l’aspect technique et humain de leur travail. Pour mieux comprendre et apprécier leur lourd travail et les restrictions qui leur sont imposées, nous avons pu avoir le point de vue des 4 maisons suivantes :
- La Maison Gamache & Nadeau de Thetford Mines : une institution datant de 1940 qui, depuis 2010 est gérée par la première femme de la ville à exercer le métier de directrice de funérailles.
- Le Groupe Grégoire & Desrochers à Victoriaville : son co-propriétaire est, entres autres, l’ancien président de la Corporation des thanatologues du Québec.
- Le Complexe funéraire Albert Rochette & Fils à St-Augustin des Maures : son propriétaire est le plus jeune propriétaire de maison funéraire au Québec.
- La Maison familiale J.A. Larin & fils à Salaberry-de-Valleyfield : établie depuis plus de 100 ans et considérée comme la plus ancienne entreprise de la ville cette maison comptabilise une histoire sur 5 générations.
Touché de façons différentes
La première constatation établie après discussion est que la COVID-19 n’a pas forcément touché tout le monde au même degré, même ceux exerçant la même profession. En effet l’emplacement de la maison funéraire et sa taille ont eu un impact déterminant. Aussi, parmi les propriétaires de maisons funéraires avec qui nous avons pu parler, il y en a qui ont eu la chance de n’avoir quasiment aucun défunt contaminé et d’autres qui ont vu leur activité exploser car ils étaient au centre de la pandémie.
« Nous avons eu une augmentation de l’ordre de 150% de notre nombre de défunt habituel. Cela à durer 2-3 mois. Nous observons une nette amélioration en baisse du nombre de décès relié à la COVID-19 depuis 1 mois. »
Alexandre Larin de la Maison familiale J.A. Larin & fils
Par contre, tous, sans exception, ont eu à se plier aux nouvelles exigences et réglementations gouvernementales, en se fiant aux directives émises par des organismes comme le DSP, aux normes du BNQ et tous autres avis retransmis par la Corporation des thanatologues du Québec. Ainsi, ils ont dû, entres autres :
- Suivre des formations, si besoin, et rester informés.
- Acheter encore plus d’équipement qu’à l’habitude : plus de gel désinfectant, de masques et de combinaisons d’astronautes pour le potentiel déplacement des corps contaminés.
- Réduire les services : de fleurs, signets et buffets.
- Établir une nouvelle logistique : réorganisation des salles, installation de flèches au sol et même parfois, fermeture de certains salons.
- Reporter des funérailles et s’organiser pour ne pas empiéter sur ceux à venir
- Mettre en place une stratégie de déconfinement avec liste de priorité des défunts par date de report.
« Nous avons tout d’abord protégé notre personnel avec l’achat de beaucoup d’équipements de protection et de la formation en continue sur le développement du transport des défunts et les normes de la santé publique. »
Alexandre Larin de la Maison familiale J.A. Larin & fils
Réduire les services
Par ailleurs, ces anges-gardiens oubliés ont dû réduire les services qu’ils offraient, ce qui leur a causé un déficit. Mais en plus, certains d’entre eux ont des employés (ex : transporteurs de défunts et conducteurs) qui ont plus de 70 ans et qui, étant à risque, ont été mis en arrêt, ce qui a causé un manque de main d’œuvre et une surcharge de travail pour les employés restants. Heureusement, ils ont quand même su tirer parti de la situation et s’adapter en conséquence et les rites funéraires avec. Désormais, parmi les alternatives offertes, on trouve :
- Les rencontres des familles pour les arrangements faites le plus possible à distance.
- Les visites virtuelles au salon et les vidéos conférences organisées pour permettre aux proches de partager le temps des visites avec leur famille confinée.
- Les systèmes de réservation mis en place pour les périodes de sympathies.
- Les souhaits de condoléance proposés maintenant sous différentes formes électroniques.
- Les réceptions après funéraire offertes en formule cocktails ou boîte à lunch pour pallier l’arrêt des buffets.
- Les ententes conclues avec plusieurs agences gouvernementales pour que les familles n’aient plus à signer physiquement les différents documents.
« Des choses que l’on croyait impensables sont devenues la norme. Les cérémonies virtuelles, par exemple. Nous en avions avant, mais le taux de visites sur notre site a explosé passant à plus de 900 visites par cérémonie »
Denis Desrochers du Groupe Grégoire & Desrochers
Aide gouvernementale?
Cependant, quand Le Nécrologue leur a demandé l’implication du gouvernement dans ce défi qu’ils ont à relever, les maisons funéraires sont malheureusement loin d’être satisfaites : des aides quasiment inexistantes, arrivées trop peu ou trop tard et un ressenti de manque de considération pour l’importance de leur travail durant la pandémie.
En effet, même si les propriétaires sont souvent des travailleurs autonomes, ils déplorent le fait que leurs employés n’aient eu accès aux primes gouvernementales que beaucoup plus tard par rapport à d’autres services essentiels. Et ce, malgré la pression et la surcharge de travail qu’ils peuvent subir eux aussi.
« Ce n’est que mon opinion, mais on a été les grands oubliés de cette pandémie. Ça a été très tard avant que nos employés aient droit aux mêmes recours que d’autres professions. On est rendus à 56 000 cas depuis le début de la pandémie au Québec et quand on va chercher un corps, on est directement exposés à la COVID-19. Je ne dis pas que le gouvernement a fait une mauvaise job, mais c’était long »
Keven Dumais du Complexe funéraire Albert Rochette & Fils
L’humain avant tout
Toutefois, malgré toutes ces limitations, ces pertes de revenus et ce sentiment de déception face au gouvernement, les propriétaires se considèrent chanceux d’avoir tenu bon et d’avoir eu des équipes exceptionnelles et compréhensives. Cette détermination est le résultat d’un besoin primordial pour les travailleurs de ce domaine : « Donner du sens à ce qui n’a pas de sens », ne jamais abandonner et tout faire pour que les familles en deuil puissent vivre cette étape dignement, tout en respectant les défunts. En effet, leur travail concerne avant tout l’humain et ils se font un devoir de ne jamais l’oublier lorsqu’ils doivent prendre des décisions.
« Au cours de notre travail, nous accompagnons les vivants dans l’un des moments les plus marquants de leur vie. Nous continuons à être à l’écoute des besoins de chaque famille, de chaque individu dans cette période si particulière. Nous avons dû rapidement trouver de nouvelles alternatives afin de leur permettre de vivre leur deuil le plus sereinement possible. »
Stéphanie Gamache de la Maison Gamache & Nadeau
Néanmoins, afin de servir au mieux la population, les maisons funéraires reconnaissent que les familles, aussi ont eu leur part à faire pour aider dans cette démarche. Il a fallu être à leur écoute, mais aussi les conscientiser et discuter avec eux pour aboutir à des concessions des deux parts. Par exemple, sur les jours d’inhumation. De fait, il est de notoriété publique que les gens préfèrent un enterrement le samedi. Mais, non seulement il n’y a que 52 samedis dans l’année, mais en plus les effectifs étaient réduits et plusieurs funérailles reportées. Il a donc fallu accepter d’en avoir durant la semaine.
« Les Québécois, on est quand même un peuple assez solidaire. Dans des situations de même, on apprend à être patients et à s’entraider. Autant l’entreprise envers les clients que les clients envers l’entreprise »
Keven Dumais du Complexe funéraire Albert Rochette & Fils
Prêt pour une seconde vague?
La situation donc est plutôt bien maîtrisée et acceptée de part et d’autre. D’ailleurs, lorsqu’on demande à ces anges-gardiens oubliés s’ils sont préparés si une seconde vague s’en venait. Ils répondent avec assurance que oui. Même si personne ne souhaite le pire, ils ont la conviction que nous, la population, allons garder quelques-unes des habitudes prises au cours de cette crise et en faire des automatismes, (ex : se désinfecter les mains). Leurs équipes sont elles aussi prêtes à toute éventualité.
« Nous avions le devoir et la responsabilité de nous adapter à cette situation. Après avoir vécu cette période plus difficile, le constat que nous avons fait est : notre équipe a une grande capacité d’adaptation, elle nous l’a prouvée. »
Denis Desrochers du Groupe Grégoire & Desrochers
En lisant les réponses de ces professionnels à l’écoute de ceux qui ont perdu un être cher, de ceux qui n’ont pas pu dire au revoir, une évidence s’impose : leur métier et leur rôle de support sont indéniables. Grâce à nos anges-gardiens oubliés, beaucoup ont pu surmonter cette épreuve en se sentant accompagnés et soutenus.
« Il est important d’être à l’écoute des besoins des familles. S’adapter, innover et être créatif, c’est la clé pour la réussite. Il faut penser différemment, car maintenant les choses ont changées…»
Stéphanie Gamache de la Maison Gamache & Nadeau
Comme les autres anges des services indispensables, nos anges-gardiens oubliés du domaine mortuaire ont risqué leur santé, voire leur vie, pour nous permettre de continuer à avancer en nous sachant soutenus et entourés dans nos démarches, même les plus dures. Comme les autres, ils méritent donc notre admiration, nos remerciements et le rappel de tout le bien qu’ils font pour nous tous au quotidien.